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Jeudi 28 juin 4 28 /06 /Juin 21:12

      - Non, non, non et non !

      - Mais…Samuel ! Tu l’as repeint plus de 10 fois ce tableau ! Je ne comprends pas ce que tu lui reproches ! Il est parfait. Pour être franche, je n’en avais jamais vu de si beau depuis… une éternité. Il dépeint parfaitement la réalité et il dégage quelque chose de tellement… magnifique ! Et puis, même s’il n’est pas parfait ce fichu tableau, on s’en fout ! Tu sais très bien que c’est juste pour faire semblant ce « tableau d’admission ». C’est le directeur même qui te l’as dit ! T’es l’élève le plus doué qu’il ait eu depuis une dizaine d’année !

Le dénommé Samuel soupira et passa une main lasse sur son visage. Elle ne voyait définitivement pas les choses de la même manière que lui.

      - Betty…Tu me connais assez bien pour savoir que jamais je ne donnerai un travail imparfait à mes yeux à un quelqu’un. Je ne sais pas ce que tu vois sur ce tableau, mais ce n’est pas la même chose que moi. Il est fade…Tout simplement fade. Il manque de vie. Il est, certes, très réaliste mais tellement… vide.

      - Sam…Tu ne vas pas le refaire 10 fois quand même !

      - S’il le faut, oui Boop.

      - D’accord, d’accord ! Je te laisse t’y mettre alors. Je reviendrai ce soir voir où ça en est.

 

« Ce jour-là, je ne savais pas trop à quoi m’attendre. J’avais un tableau à peindre pour ma qualification dans une des plus prestigieuses écoles d’arts du pays. Un paysage. Je n’étais pas stressé car je savais que tout était joué d’avance. Un Génie. C’est ainsi qu’ils me qualifiaient. Je ne voyais pas les choses sous le même angle à l’époque. Je me voyais uniquement comme un vulgaire peintre suivant la destinée que ses parents avaient voulu lui donner. A l’âge de 3 ans, on m’avait mis un pinceau dans la main et dit : Peins. Je l’avais fait. A 6 ans, je dessinais déjà très bien et on m’avait inscrit dans des cours particuliers. Le mot d’ordre de l’époque avait été : Perfectionne-toi. Je l’avais fait. A 12 ans, j’étais capable de reproduire n’importe quoi à la perfection. Les détails y étaient mais pas la technique. On m’avait alors sommé de faire preuve de plus de rigueur. Je l’avais fait. J’avais 24 ans. J’avais passé ma vie à peindre et j’en étais las. J’aurais tellement aimé  pouvoir faire une pause mais on en attendait tant de moi. Même Betty, ma meilleure amie, ne voyait pas la lassitude qui m’envahissait petit à petit. Ma seule motivation était le fait de dépeindre mes émotions à travers mes peintures. En soi, je n’aimais pas la peinture, j’avais passé ma vie à peindre... »

 

Samuel prit son attirail, le mit avec soin dans sa voiture et se dirigea vers la sortie de la ville. Il y avait un coin pas mal dans les environs. Un lac, des arbres. Tout ce qu’il fallait pour réaliser un beau paysage. Comme tous les jours depuis 3 longs mois, il s’installa au bord du lac et peignit ce qu’il voyait. Ni plus ni moins que ce qu’il avait sous les yeux. C’était ça le problème. Il ne peignait que ce qu’il voyait. Aucune touche personnelle. Aussi minime soit-elle.

 

« J’étais prêt à abandonner. A faire ce que Boop m’avait conseillé. Aller à l’encontre de mes principes. Je n’en pouvais plus de refaire sans cesse le même paysage. De le refaire sans savoir quoi rajouter pour le rendre parfait, pour enlever toute cette banalité. C’est là qu’il m’est apparu. Il est arrivé tel un ange descendant du ciel. Vous allez sans doute trouver ça bizarre et stupide mais ça a été mes sentiments exacts quelques temps après. Un ange venant ranimer ma passion pour la peinture. Une passion pratiquement éteinte. »

 

Samuel était affairé à peindre depuis déjà 3 heures et le soleil ne l’aidait pas vraiment.

      -  Oh mon Dieu ! Ne bougez surtout pas !

Samuel sursauta légèrement et se retourna, cherchant des yeux la personne lui ayant parlé.

      -  Oh non !  Vous l’avez fait fuir.

Un jeune homme se tenait sur sa droite. Il était visiblement déçu que ce quelque chose ai fuit.

- Il y avait un magnifique monarque sur votre épaule !

Le nouveau venu lui sourit avant de reprendre.

- Un papillon.

Samuel était subjugué par l’inconnu. Magnifique… C’était la seule manière qu’il pouvait trouver pour le décrire. Des cheveux blonds encadraient un visage ovale. Des yeux couleur indigo le fixaient et une bouche aux lèvres rosées lui souriait.

L’inconnu s’avança et lui tendit une main.

      -  Je m’appelle Gabriel.

 

« Ca lui allait tellement bien. Gabriel. L’ange Gabriel. Mon ange. J’étais tellement pris dans ma contemplation que je n’avais pas remarqué qu’il venait de se présenter. »

 

      - Allô la Terre appelle la Lune…

      - Pardon ?

Samuel venait enfin de se reconnecter au monde réel.

      - Oh rien. Je viens de me prendre un méchant vent mais c’est pas grave.

      - Désolé ! Je pensais à autre chose ! Vous disiez ?

      - Pas la peine de me vouvoyer. On doit avoir le même âge.

      - Vous…tu as quel âge ?

      - 25 ans. Et je m’appelle Gabriel.

Gabriel lui tendit encore sa main et lui sourit chaleureusement.

      - Samuel, répondit le jeune peintre, serrant la main tendue.

      - Ca fait longtemps que je t’observe peindre. Comme c’est le printemps, il y a beaucoup de papillons alors je viens aussi souvent que je peux. Mais bon, dans deux semaines on sera en juillet et je vais aller rejoindre mon chéri en Espagne.

Une pointe de jalousie picota le cœur de Samuel. Mon chéri.

      - Ton chéri… murmura Samuel pour lui-même.

      - Oui ! Il s’appelle Raphaël ! Dans un mois, ça fera 3 ans qu’on est ensemble alors je compte bien fêter ça !

Cette fois-ci, une douleur lancinante pris place dans le cœur du peintre. 3 ans.

 

«  Je ne comprenais pas ce qu’il m’arrivait. Je venais à peine de le rencontrer. On s’était échangé une dizaine de répliques. Après son départ, je me suis répété en boucle ces questions : Pourquoi lui ? Pourquoi maintenant ? Pourquoi  moi ?

J’évitais de sortir, j’évitais Boop, j’évitais de peindre. En clair, j’évitais de vivre. Je me tuais mentalement à petit feu. Je savais que tant qu’aucune réponse n’aura été formulée, mon état ne changerait pas et pourtant, je n’essayais pas de faire évoluer les choses. Je restais là me morfondre et à me plaindre. Un jour, la réponse m’apparue, comme un flash. Le destin. C’était le destin qui avait voulu que les choses soient ainsi.

Je me remis alors à peindre et recommençai à vivre, essayant d’oublier cet amour impossible. »

 

      - Félicitations ! dit Samuel, sans vraie conviction.

Gabriel le remarqua mais ne dit rien. Il détourna le regard et posa son regard sur le tableau peint.

      - Wouaw ! Il est réussi !

      - Tu trouves ?

      - Oui ! Pour être réussi, il est. Mais il manque quelque chose. Avec ce quelque chose, ça rendrait le tout un peu moins fade.

Samuel le regarda et le dévisagea sans s’en rendre compte. C’était la première personne qui s’en rendait compte. Le tableau était fade sans ce quelque chose. Mais quoi ?

      - J’espère que tu le prends pas mal. Je ne suis pas un expert en la matière après tout. Je peux raconter n’importe quoi.

Le peintre grimaça et se retourna, fixant son attention sur le tableau.

      - Non, tu as raison. C’est d’ailleurs pour ça que je repeints la même chose depuis trois mois. J’en ai marre. Je vais livrer ça comme ça. Boop a raison. De toute façon, je suis déjà admis dans cette grande école. On y verra que du feu.

Il soupira et reprit son pinceau. Gabriel s’approcha doucement et se pencha par-dessus son épaule. Des frissons parcoururent l’échine de Samuel lorsqu’il sentit le souffle du blond sur son cou. Il essaya tant bien que mal de dissimuler les tremblements qui s’étaient emparés de sa main.

      - Oui mais à ce moment-là, c’est ton intégrité que tu bafoues. Tu dois peindre depuis un bon bout de temps pour réaliser de telles peintures.

      - Ca fait 21 ans, répondit Samuel, la voix légèrement tremblante.

      - Raison de plus. Tu dois adorer ça et ce serait bête de livrer quelque chose d’imparfait à tes yeux.

Samuel était de plus en plus surpris par le jeune homme. Gabriel mettait les mots exacts sur tout ce qu’il n’arrivait pas à exprimer.

      - C’est ça le problème. Je ne sais plus si j’aime ça. Tu te rends compte que j’ai peint presque tous les jours depuis vingt-et-une années ? Si je n’avais pas eu ma Boop, je ne sais même pas si j’aurais pu supporter de ne faire que ça. La peinture, c’est ma vie. C’est un couteau à double tranchant. Je ne peux pas arrêter sous peine de décevoir mon entourage et de me décevoir moi-même, mais en même temps, je suffoque.

Samuel baissa la tête, honteux d’avouer ce genre de choses à un total inconnu.

 

« Inconnu, oui, mais inconnu dont j’étais amoureux.  Je n’avais jamais cru au coup de foudre et pourtant, j’en avais été victime au moment le plus inattendu. C’était bizarre pour moi. C’était la première fois que j’aimais autant. Il était tout ce que j’attendais de quelqu’un. Gentil, drôle et agréable. Il avait un calme à toute épreuve. Ainsi, ce fameux soir, lorsque qu’il m’annonça le plus calmement du monde que c’était une erreur, j’entrai dans une colère monstrueuse, le frappant et dévastant sa maison au passage. C’était le seul moyen que j’avais trouvé pour exprimer ma peine, les larmes ne voulant définitivement pas couler. »

 

Gabriel tourna la tête et  détailla Samuel. Ce dernier avait de beaux yeux gris en amande et une peau bronzée. Ses cheveux noirs lui cachaient une bonne partie du visage.

Sans s’en rendre compte, Gabriel porta la main à ces cheveux noirs et poussa la mèche qui tombait sur l’œil gauche du peintre. Il sourit tendrement en remarquant la rougeur qui s’installait sur les joues de son camarade.

      - Cette… Boop. Qui est-ce ?

Samuel était surpris.

      - Pourquoi ?

      - Tu as l’air de beaucoup l’apprécier alors je sais pas. Je demande.

      - En fait, elle s’appelle Betty mais je la surnomme Boop. C’est ma meilleure amie. Mon moi féminin.

Intérieurement Gabriel poussa un soupir de soulagement. Et après coup, il se sentit mal de l’avoir fait. Raphaël lui était très précieux…Certes Samuel avait de beaux cheveux, des yeux magnifiques, une peau mâte à priori très douce, un sourire à tomber par terre, des mains fines…

      - Je ne trouve vraiment pas quoi ajouter.

      - Quoi ?

Gabriel avait complètement déconnecté de la réalité, trop occupé à faire des éloges à chaque partie du corps du peintre.

      - Sur le tableau. Je sais que c’est un petit détail mais j’arrive pas à mettre la main dessus.

      - Des papillons.

      - Des papillons ?

      - Oui ! Ils représentent la vie et font partis de la nature. Ils sont discrets et attirent en même temps toute l’attention de ceux qui les regardent.

      - Tu as raison…Mais j’ai l’habitude de peindre en fonction de ce que je vois et là, il n’y en a pas.

      - T’as qu’à venir chez moi ! J’en collectionne.

Face au sourire qu’affichait Gabriel, Samuel ne put s’empêcher de refuser.

 

« J’aurais dû pourtant.  Bien des désagréments auraient été évités. »

 

Samuel rangea ses affaires dans sa voiture et suivit Gabriel jusqu’à chez lui. Une grande maison avec jardin. Un haut grillage protégeait l’accès à la demeure. Des fleurs ornaient les bords de l’allée et des colonnes sculptées dans ce qui semblaient être du marbre agrémentaient le perron. Le brun en était bouche bée. Comment pouvait-on vivre dans un tel endroit ? Ou plutôt, comment un tel endroit pouvait-il encore exister ?

Samuel posait un regard admiratif sur tout ce qui captait son regard.

      - C’est vraiment beau chez toi.

      - Merci ! En fait, c’est mes parents qui m’ont légué cette maison.

Gabriel ouvrit la porte et l’emmena dans une pièce se situant au centre de la maison. Le jeune peintre pouvait voir des dizaines de papillons. Ils étaient en quelque sorte…plastifiés. C’était dur à décrire.

      - Wouaw ! s’exclama Samuel, s’approchant d’une vitrine où était exposé un papillon bleu et noir. C’est lui que je veux peindre !

Gabriel se mit à rire, amusé par l’attitude de son nouvel ami.

      - Je t’en prie.

      - Pourquoi tu ris comme ça ? C’est pas bien de se moquer de moi.

Samuel prit un air boudeur. Avec sa mèche qui lui retombait invariablement sur l’œil gauche, Gabriel le trouvait vraiment mignon.

      - C’est toi qui me fais rire. On aurait dit un gamin trouvant un jouet par terre et décrétant que, désormais, il lui appartenait.

      - Mais c’est mon nouveau jouet ! déclara Samuel d’un air faussement outré.

Gabriel rigola encore plus fort.

      - Je te laisse. Je vais faire à manger. Ca t’intéresse ?

      - Oh que oui !

Le blond partit, le sourire aux lèvres. Samuel quand à lui sortit une feuille de papier et sa peinture, et se mit à faire des tests pour savoir quelle couleur imiterait à la perfection celle du papillon sans pour autant faire tâche sur le tableau. Sans s’en rendre compte, il passa environ deux heures à peindre ces fameux papillons. Difficile de peindre une chose animée alors que son modèle ne l’était pas.

Il sursauta en sentant quelque chose caresser sa nuque. Heureusement qu’il avait mis le pinceau de côté quelques secondes avant. Il se retourna et fixa Gabriel, essayant tant bien que mal de ne pas rougir.

Par Raewon - Publié dans : Oneshots
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